Transfert de locaux loués : pas de cession d’établissement selon CE
Transfert de locaux loués : l’immeuble suffit-il à emporter le statut d’établissement ?
Un enjeu sous-estimé dans les acquisitions d’immobilier d’entreprise
Depuis plusieurs années, les investisseurs corporate privilégient le rachat de murs occupés plutôt que celui de fonds de commerce complets, espérant ainsi éviter les frottements fiscaux attachés à la cession d’établissement. L’arrêt du Conseil d’État du 7 mai 2025 (n° 488170) confirme la pertinence de cette stratégie : la simple acquisition d’un immeuble, même accompagnée du transfert du bail commercial et de la poursuite d’une activité identique, n’entraîne pas l’application automatique du dispositif anti-dévalorisation prévu à l’article 1518 B du code général des impôts (CGI).
Loin d’être anecdotique, la décision sécurise les montages « asset deal » et réaffirme un critère strict d’exploitation autonome pour caractériser la cession d’établissement.
1. Rappel du cadre légal : un mécanisme de protection de la valeur locative
1.1 L’économie de l’article 1518 B CGI
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Objet : geler la valeur locative des immobilisations corporelles lorsque l’entreprise cède un établissement, fusionne ou apporte une branche complète.
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Seuils : interdiction de descendre sous les ⅔ (opérations antérieures à 1992) ou les ⅘ (opérations postérieures) de la valeur locative initiale.
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Finalité : préserver l’assiette de taxe foncière et de cotisation foncière des entreprises (CFE) pour les collectivités territoriales.
1.2 La définition fiscale de l’établissement
Aux termes de l’article 310 HA de l’annexe II au CGI, est regardée comme établissement toute installation exploitée en un lieu déterminé lorsqu’elle peut fonctionner de manière autonome. Cette autonomie implique :
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la détention simultanée d’éléments immobiliers et mobiliers ;
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la possibilité de poursuivre l’activité sans apport immédiat de moyens complémentaires.
2. Les enseignements clés de l’arrêt du 7 mai 2025
2.2 Motivation du Conseil d’État
« La cession de locaux nus, si elle n’est pas accompagnée de la remise des moyens mobiliers nécessaires à l’exploitation, ne saurait être assimilée à la cession d’un établissement » [[CE, 7 mai 2025, n° 488170]].
La Haute juridiction se fonde sur deux constats :
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Absence de globalité des moyens cédés : aucune machine, aucun stock, aucun mobilier indispensable.
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Poursuite de l’activité grâce aux seuls équipements du locataire : la propriété des moyens reste dissociée de la propriété du foncier.
3. Conséquences opérationnelles pour les acteurs du M&A immobilier
3.1 Pour l’acquéreur
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Base foncière renégociable : la valeur locative pourra être révisée selon la méthode de comparaison sans plafond de maintien.
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Cash-flow amélioré : taxe foncière et CFE potentiellement en baisse, impactant favorablement le TRI du projet.
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Contrôle du risque : la documentation de l’acte doit souligner l’absence de transfert de biens mobiliers.
3.2 Pour le vendeur
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Séparation claire des actifs : ventiler le prix entre immeuble et équipements évite une requalification a posteriori.
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Clause de non-reprise : stipuler que le locataire demeure propriétaire de ses agencements et machines.
3.3 Pour le locataire
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Maintien du pouvoir de négociation : le bail n’est pas assimilé à la vente d’un fonds de commerce, ce qui limite les revendications possibles en matière de révision de loyer ou d’indemnité.
4. Bonnes pratiques contractuelles pour éviter la requalification
4.1 Inventaire annexé à l’acte
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Liste négative des biens exclus : machines, logiciels, outillages, licences.
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Photographies datées attestant de la vacuité des locaux le jour de la signature.
4.2 Clause fiscale explicite
« Les Parties reconnaissent que l’Opération ne porte que sur des immobilisations immobilières. L’ensemble des moyens mobiliers nécessaires à l’exploitation demeure la propriété du locataire. »
4.3 Anticipation d’un contrôle de la DGFIP
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Préparer un mémo juridique retraçant la jurisprudence (CE 18 juin 2014, CE 21 déc. 2022, CE 7 mai 2025).
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Conserver la data-room pendant cinq ans pour prouver l’absence de transfert de matériel.
5. Vers une redéfinition législative ?
La mission gouvernementale lancée en 2024 sur la révision des valeurs locatives industrielles pourrait durcir les critères d’autonomie. Parmi les pistes évoquées :
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introduction d’un faisceau d’indices (effectifs repris, contrats commerciaux, licences) ;
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création d’un seuil plancher de matériels transférés pour écarter les montages d’optimisation.
Les praticiens du droit des affaires dans les Yvelines devront rester vigilants et, le cas échéant, solliciter des rescrits lorsqu’un doute subsiste.
L’arrêt du 7 mai 2025 offre une clarification bienvenue : sans transfert des biens mobiliers essentiels, l’acquisition d’un immeuble grevé d’un bail commercial ne constitue pas une cession d’établissement. Les conseils d’entreprises disposent ainsi d’un levier supplémentaire pour optimiser la fiscalité locale de leurs opérations immobilières. Mais la vigilance reste de mise : la moindre livraison d’équipements, même différée, pourrait modifier la qualification fiscale. L’autonomie d’exploitation demeure le maître mot ; à défaut, la pierre seule… ne fait jamais l’outil.
LE BOUARD AVOCATS
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