Sous-traitance : garantie décalée et clause suspensive validée

Sous-traitance : garantie décalée et clause suspensive validée

Garantir le sous-traitant après la signature : enseignements de l’arrêt du 30 avril 2025

L’obligation de garantir le paiement du sous-traitant, édictée par la loi du 31 décembre 1975, sert de rempart aux faillites en cascade sur les chantiers. Pourtant, la mécanique bancaire retarde souvent la délivrance d’un cautionnement : les établissements ne s’engagent qu’une fois le sous-traitant agréé par le maître d’ouvrage. Ce décalage temporel vient d’être légitimé par la troisième chambre civile, qui, le 30 avril 2025, a jugé qu’un sous-traité pouvait rester en suspens jusqu’au jour de l’agrément, pourvu que la garantie soit fournie au même instant [[Cass. 3e civ., 30 avr. 2025, n° 23-19.086]].

La validation d’un montage contractuel fondé sur la liberté des parties

Clauses conditionnelles et exigence légale

L’article 14 de la loi de 1975 impose à l’entrepreneur principal de protéger son sous-traitant au moyen d’un cautionnement bancaire ou d’une délégation de paiement du maître d’ouvrage [[L. 75-1334, art. 14]]. Toute clause éliminant cette sécurité est nulle de plein droit [[ibid., art. 15]]. Reste à savoir quand la sûreté doit être produite.

Dans l’affaire commentée, le sous-traité signé le 24 octobre 2017 stipulait qu’il « ne serait valable » qu’après agrément du sous-traitant et acceptation de ses conditions de paiement. L’agrément et la délégation de paiement n’intervinrent que le 3 avril 2018. Le sous-traitant invoqua la nullité, estimant que la garantie était exigible à la signature.

La solution : formation différée et simultanéité garantie/agrément

La Cour de cassation retient que les parties peuvent reporter la formation ou la prise d’effet du contrat à une date future, en l’occurrence celle de l’agrément [[C. civ., art. 1103]]. Dès lors que la délégation de paiement est délivrée ce même jour, la protection voulue par la loi est respectée ; le sous-traité naît à la fois valide et garanti.

Néanmoins, deux garde-fous subsistent :

  • aucun travail ne doit commencer avant la levée de la condition, sous peine de nullité automatique déjà consacrée par la jurisprudence [[Cass. 3e civ., 7 fév. 2001, n° 98-19.937]] ;

  • la clause suspensive ne saurait masquer une renonciation anticipée du sous-traitant à sa garantie.

Conséquences opérationnelles pour les acteurs du chantier

Pour l’entrepreneur principal

  • Anticiper le calendrier bancaire : adresser dès l’appel d’offres un dossier complet à l’établissement de crédit afin que la caution puisse être émise dès l’agrément.

  • Verrouiller le planning travaux : interdire par écrit toute mobilisation du sous-traitant avant notification officielle de la garantie.

  • Préserver la traçabilité : conserver la délégation ou le cautionnement dans le dossier marché et en remettre copie au maître d’ouvrage.

Pour le sous-traitant

  • Examiner la clause suspensive : s’assurer qu’elle fixe clairement la date de naissance du contrat et le caractère concomitant de la garantie.

  • Exiger le document de sûreté : avant d’envoyer la moindre équipe sur site, réclamer une copie signée de la délégation ou la lettre de caution.

  • Conserver la preuve des dates : courriels, registres d’entrée sur chantier ou feuilles d’émargement permettront d’établir qu’aucune prestation n’a débuté sans couverture.

Pour le maître d’ouvrage

  • S’associer au montage financier : vérifier que la délégation couvre le montant total du lot, avenants compris.

  • Garantir la cohérence des agréments : refuser un sous-traitant ne présentant pas les garanties techniques ou financières requises afin d’éviter un second tour de table.

  • Formaliser la délégation : un acte séparé, daté et signé, facilite la preuve en cas de litige et protège le sous-traitant contre un retrait unilatéral.

Guide de rédaction d’une clause suspensive sécurisée

  • Indiquer que le contrat « ne sera formé qu’à l’agrément du sous-traitant et à la remise simultanée d’une garantie conforme à l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975 ».

  • Prévoir un délai maximal d’agrément (par exemple, 60 jours) au-delà duquel le sous-traitant peut se rétracter sans pénalité.

  • Intégrer une interdiction expresse de toute intervention ou livraison de matériel avant la levée de la condition.

  • Mentionner l’obligation, pour l’entrepreneur principal, de transmettre au sous-traitant un original ou une copie certifiée de la garantie le jour même de l’agrément.

Conclusion : souplesse sous conditions

L’arrêt du 30 avril 2025 autorise un décalage maîtrisé entre la signature et la naissance effective d’un sous-traité, à la faveur d’une clause suspensive correctement rédigée. Les opérateurs peuvent ainsi composer avec les délais bancaires sans sacrifier la sécurité du sous-traitant. Cette souplesse demeure cependant encadrée : aucun coup de pioche ne doit être donné sans garantie, et la charge de prouver la simultanéité pèse sur l’entreprise principale. Un équilibre subtil, à intégrer sans tarder dans la boîte à outils contractuelle de tout juriste du BTP.

 

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