Rupture partielle d'une relation commerciale établie : cadre juridique

Rupture partielle d'une relation commerciale établie : cadre juridique

Un encadrement rigoureux des ruptures dans les relations commerciales établies

Les relations commerciales s'inscrivant dans la durée bénéficient, en droit français, d'une protection particulière destinée à préserver la stabilité des partenaires économiques.
Aux termes de l'article L. 442-1, II du code de commerce (anciennement article L. 442-6, I, 5°), la rupture brutale, même partielle, d'une relation commerciale établie sans respect d'un préavis écrit suffisant engage la responsabilité de son auteur.

La doctrine et la jurisprudence rappellent régulièrement que cette obligation vise à permettre au partenaire évincé de réorganiser ses activités dans des conditions raisonnables. En cas de manquement, seule la brutalité de la rupture – et non la rupture elle-même – peut être réparée [[Cass. com., 10 févr. 2015, n°13-26.414]].

La notion de rupture partielle suppose une baisse significative et soudaine des volumes d’affaires ou des engagements, sans disparition totale de la relation.

Comment caractériser une rupture partielle de la relation commerciale ?

Pour être qualifiée de rupture partielle brutale, la diminution des engagements doit répondre à plusieurs critères cumulatifs :

  • Une décision volontaire du partenaire économique : une simple diminution des commandes imputable à des circonstances extérieures, telles qu'une crise sectorielle, n’est pas constitutive d’une rupture brutale[[Cass. com., 8 nov. 2017, n°16-15.285]] ;

  • Un changement d’ampleur significative, rompant l’équilibre économique antérieur ;

  • L'absence de préavis écrit permettant d’anticiper la baisse.

L’appréciation du caractère établi de la relation repose sur la régularité, la stabilité et l’ancienneté des échanges commerciaux[[Cass. com., 26 nov. 2003, n°00-21.527]].

La décision Wipelec c/ Exxelia : précision sur l’évaluation du préjudice

Par un arrêt rendu le 29 janvier 2025[[Cass. com., 29 janv. 2025, n°23-19.972]], la Cour de cassation est venue rappeler les principes applicables à l’évaluation du préjudice en cas de rupture partielle.

Les faits marquants

Depuis plusieurs années, la société Wipelec approvisionnait la société Exxelia en pièces de haute technologie. À compter du second semestre 2018, les commandes diminuent sensiblement.
Estimant avoir été victime d’une rupture brutale partielle sans préavis suffisant, Wipelec saisit les juridictions.

La cour d’appel de Paris condamne Exxelia en tenant compte, pour réduire l’indemnité, des marges réalisées non seulement pendant le préavis, mais également en 2019 et 2020.

La solution de la haute juridiction

La Cour de cassation sanctionne cette approche :

  • Le préjudice indemnisable doit être calculé en fonction de la marge brute escomptée pendant la seule durée du préavis non respecté ;

  • Les marges réalisées après l’expiration de ce délai ne peuvent pas être prises en compte pour réduire l’indemnité[[Cass. com., 24 juin 2014, n°12-27.908]].

Cette solution, fidèle au principe de réparation intégrale, vise à garantir une indemnisation proportionnée au seul dommage résultant de la brutalité.

Comment calculer le préjudice en cas de rupture partielle ?

1. Déterminer la marge brute escomptée

La première étape consiste à calculer :

  • La marge brute moyenne mensuelle, sur les trois dernières années ;

  • Multipliée par la durée du préavis normalement exigible, appréciée selon la durée de la relation.

Exemple : 15 260 € de marge mensuelle × 6 mois de préavis ➔ 91 560 € de marge théorique.

2. Déduire les marges réalisées pendant la période de préavis

Si, pendant la période correspondant au préavis non respecté, des commandes ont été passées, il convient :

  • De calculer le chiffre d'affaires généré ;

  • D'y appliquer le taux de marge ;

  • Et de déduire ce montant de la marge théorique.

Dans l'affaire Wipelec, 13 877 € de chiffre d’affaires génèrent 11 796 € de marge à déduire.

3. Interdire toute déduction au-delà de la période de préavis

La haute juridiction rappelle expressément que les marges réalisées postérieurement à la période du préavis n'ont pas à être prises en compte pour diminuer l’indemnisation[[Cass. com., 28 juin 2023, n°21-16.940]].

4. Ne pas confondre rupture partielle et évolution naturelle de la relation

Toute évolution contractuelle n'est pas nécessairement brutale. La preuve d’une décision unilatérale, soudaine et significative reste à la charge de celui qui l'invoque.

Recommandations pratiques pour les opérateurs économiques

Pour limiter les risques liés à une rupture partielle de relation commerciale :

  • Formalisez les relations commerciales par un contrat écrit, prévoyant un délai de préavis clair et adapté ;

  • Mettez à jour régulièrement vos accords pour refléter l'évolution des relations d'affaires ;

  • Surveillez les volumes d'affaires et documentez tout changement significatif ;

  • Anticipez les ruptures par des discussions préalables et un préavis loyal lorsque la situation le nécessite.

En cas de litige, la solidité des pièces produites (contrats, échanges de courriels, factures, historique des relations) sera déterminante.

La décision du 29 janvier 2025[[Cass. com., 29 janv. 2025, n°23-19.972]] illustre une nouvelle fois la rigueur avec laquelle les juridictions appréhendent la rupture partielle d'une relation commerciale établie.

En imposant une stricte évaluation du préjudice limitée à la période de préavis non respectée, la Cour protège les intérêts légitimes des partenaires économiques tout en encadrant la réparation des dommages.

Dans un contexte commercial mouvant, la prévoyance contractuelle et la rigueur dans la gestion des relations d’affaires demeurent plus que jamais nécessaires pour prévenir les risques et préserver durablement ses positions commerciales.

 

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