Refus de rupture conventionnelle : guide pratique pour l’employeur

Refus de rupture conventionnelle : guide pratique pour l’employeur

Depuis quinze ans, la rupture conventionnelle s’est imposée comme l’outil privilégié des départs négociés. Pourtant, accepter n’est jamais une obligation pour l’entreprise ; la loi fonde l’opération sur un accord librement consenti. Comment refuser plusieurs demandes sans encourir un reproche de discrimination ou d’abus ? À travers les textes applicables et les décisions les plus récentes, ce dossier propose une méthode destinée aux dirigeants, DRH et responsables juridiques souhaitant sécuriser leur position.

1. Le cadre légal du refus : liberté contractuelle et loyauté

1.1 Aucune limite numérique

Les articles L 1237‑11 à L 1237‑16 du Code du travail ne fixent aucun plafond au nombre de refus. La Cour de cassation confirme, le 23 mai 2013 (n° 12‑13.865), que la rupture conventionnelle « ne peut être imposée ». L’employeur peut donc répondre négativement autant de fois que nécessaire, à condition de le faire loyalement.

1.2 Bonne foi et discrimination

L’article L 1222‑1 impose l’exécution de bonne foi. Un refus devient fautif si le salarié établit un mobile illicite (sexe, santé, engagement syndical). Dans l’arrêt du 19 mai 2021 (n° 19‑20.526), la Haute juridiction sanctionne le refus qui dissimule un dessein discriminatoire. Chaque « non » devra donc reposer sur un motif objectif, vérifiable et traçable.

2. Construire un refus solide : méthode en trois temps

2.1 Motiver et consigner

  • Analysez l’impact organisationnel : expertise rare, période de pic d’activité, projet en phase critique.

  • Établissez une note interne : argument clé, durée estimée de maintien, alternatives étudiées (mobilité interne, intérim).

  • Conservez courriel ou lettre de refus ; la traçabilité constitue la première défense prud’homale.

2.2 Anticiper la représentation du personnel

Informez le CSE lorsque la demande concerne un salarié clé ; l’article L 2312‑8 permet d’exposer les contraintes de service et de prévenir toute suspicion de traitement opaque.

2.3 Vérifier le risque antidiscrimination

Avant de notifier le refus, contrôlez la situation individuelle (arrêt maladie, grossesse, mandat syndical). Si un critère protégé apparaît, doublez la justification par des données chiffrées (coût de remplaçant, temps de formation).

3. Gérer la relation après plusieurs refus

3.1 Maintenir la motivation

Refuser sans expliciter peut miner la mobilisation. Proposez un plan d’action : formation, mobilité horizontale, adaptation de la charge.

3.2 Préparer un scénario de sortie

Quand la rétention devient intenable, trois pistes s’offrent à l’employeur :

  • Rupture conventionnelle collective (RCC) : accord majoritaire, quotas définis, contrôle DREETS.

  • Mobilité volontaire sécurisée (entreprise > 300 salariés) : suspension du contrat, retour possible.

  • Licenciement justifié : motif économique ou insuffisance professionnelle dûment étayée, procédure stricte.

4. Prévenir le contentieux

4.1 Audit annuel des demandes

Recensez fréquence, département, profil, et taux d’acceptation ; cet audit interne révèle d’éventuels biais systémiques avant qu’ils ne soient invoqués en justice.

4.2 Gestion de la preuve

En cas de contestation, produisez :

  • notes de service, plannings, budgets prouvant la nécessité de conserver le poste ;

  • courriels de refus datés ;

  • propositions alternatives (formation, reclassement).

5. Foire aux questions dirigeant

  • Faut‑il rédiger une motivation écrite ? Non imposé, mais fortement recommandé pour prouver la loyauté.

  • Trois refus successifs sont‑ils excessifs ? Tout dépend du contexte ; au‑delà, un audit s’impose.

  • Le salarié peut‑il obtenir un licenciement forcé ? Il peut provoquer une faute grave, mais l’entreprise garde la main sur la qualification disciplinaire.

  • Un refus bloque‑t‑il toute nouvelle tentative ? Non ; chaque demande doit être réexaminée selon l’évolution des besoins.

  • Quelles indemnités si la rupture est finalement acceptée ? Minimum légal ou conventionnel ; rien n’interdit une majoration pour solder le différend.

Conclusion

Refuser une rupture conventionnelle relève du libre arbitre de l’employeur, mais cette liberté se conjugue avec la loyauté et la transparence. En documentant chaque motif, en anticipant le dialogue social et en évaluant les alternatives, l’entreprise sécurise sa position et prévient le risque prud’homal. Une gouvernance claire du refus devient ainsi un levier de sérénité et de performance durable.

 

Source : https://www.lebouard-avocats.fr/post/refus-rupture-conventionnelle-limites