Reclassement pour inaptitude : la Cour de cassation précise

Reclassement pour inaptitude : la Cour de cassation précise

Le reclassement du salarié déclaré inapte demeure un sujet délicat et complexe en droit du travail. Dans une décision très attendue du 19 mars 2025 (Cass. soc. 19 mars 2025, n° 23-21.210), la Cour de cassation est venue préciser les limites exactes du périmètre de reclassement pour les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM). Cette clarification importante mérite un examen approfondi, tant pour les employeurs publics que pour leurs salariés.

L’obligation de reclassement : un principe général strictement encadré

Lorsqu'un salarié se trouve dans l’impossibilité de reprendre son poste suite à une inaptitude médicalement constatée, le droit du travail impose à l’employeur une obligation impérative de reclassement. Cette obligation est fixée clairement aux articles L. 1226-2 (inaptitude non professionnelle) et L. 1226-10 (inaptitude professionnelle) du Code du travail :

« L’employeur est tenu de proposer au salarié déclaré inapte un autre emploi approprié à ses capacités au sein de l’entreprise ou, le cas échéant, au sein des entreprises du groupe auquel elle appartient. »

Évolution de la notion de groupe de reclassement

Jusqu’en 2017, la jurisprudence retenait une définition pragmatique du « groupe », fondée essentiellement sur la possibilité de permutation effective du personnel entre entreprises. Ainsi, le lien capitalistique importait peu, dès lors qu’une mobilité réelle existait entre les entités considérées (Cass. soc. 24 octobre 1995, n° 94-40.188).

Toutefois, depuis les ordonnances dites « Macron » (n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et n° 2017-1718 du 20 décembre 2017), la définition du groupe a évolué vers une vision exclusivement capitalistique. Le Code du travail renvoie désormais explicitement au Code de commerce (articles L. 233-1, L. 233-3, I et II, L. 233-16), définissant ainsi précisément les critères requis pour considérer qu’un ensemble d’entreprises constitue un groupe.

Le statut particulier des CPAM et leurs spécificités organisationnelles

Les caisses primaires d’assurance maladie possèdent un statut juridique et une organisation singuliers. Établissements privés chargés d’une mission de service public, elles jouissent d’une autonomie juridique et administrative évidente. Chaque CPAM dispose de sa personnalité juridique propre, ainsi que d’une direction indépendante.

Une ambiguïté historique levée par la jurisprudence récente

La question s’est naturellement posée : les CPAM peuvent-elles être assimilées à un groupe de reclassement ? Certaines situations pouvaient laisser penser que leur activité identique et leur mission commune permettaient la permutation effective de personnel, malgré l’absence manifeste de liens capitalistiques. Cela entraînait une incertitude récurrente sur le périmètre précis du reclassement.

La décision récente vient apporter une réponse claire à cette question sensible, clôturant définitivement toute ambiguïté sur le sujet.

L’arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 2025 : analyse juridique détaillée

Dans l’affaire portée devant elle, la Cour de cassation devait déterminer si une CPAM avait l’obligation d’effectuer une recherche externe de reclassement au sein d’autres caisses, lorsqu’un salarié se trouvait déclaré inapte.

Contexte factuel de l’affaire

Un salarié occupant le poste de sous-directeur à la CPAM des Ardennes avait été déclaré inapte à la suite d’une maladie non professionnelle. Licencié pour impossibilité de reclassement, il contestait le licenciement devant les juridictions prud’homales, reprochant à son employeur d’avoir négligé une recherche de reclassement externe auprès des autres CPAM du territoire national. La Cour d’appel de Reims avait rejeté ses prétentions, décision dont le salarié s’était pourvu en cassation.

Motivation précise de la Cour de cassation

La Cour de cassation a explicitement fondé sa décision sur la définition actuelle inscrite à l’article L. 1226-2 du Code du travail :

  • La Haute Juridiction rappelle que la définition du groupe de reclassement repose désormais exclusivement sur des critères capitalistiques précis.

  • Elle conclut ainsi que les CPAM, ne présentant aucun lien capitalistique entre elles au sens des articles L. 233-1 et suivants du Code de commerce, ne peuvent constituer un « groupe » juridique unique.

  • Par conséquent, chaque CPAM doit limiter strictement sa recherche de reclassement à son propre périmètre interne, sans obligation d’étendre ses démarches aux autres caisses.

Cette décision est fondamentale car elle met fin à toute forme d’interprétation extensive concernant la permutation possible du personnel entre les CPAM.

Conséquences pratiques immédiates pour les employeurs et salariés

Une sécurité juridique appréciable pour les CPAM

Cette clarification jurisprudentielle permet aux CPAM d’obtenir enfin une sécurité juridique accrue. La procédure de reclassement, déjà complexe et exigeante sur le plan légal, est désormais précisément délimitée. Chaque caisse peut ainsi mieux gérer ses obligations RH sans craindre de contentieux basés sur une prétendue insuffisance de recherches externes.

Nécessité d’une vigilance renforcée pour les salariés concernés

Pour les salariés en situation d’inaptitude, ce jugement constitue une alerte claire. Leur employeur ne pourra plus être tenu responsable d’une absence de recherche au-delà du périmètre de la CPAM employeuse. Par conséquent, les salariés devront être très vigilants quant aux efforts internes effectivement entrepris par l’employeur, afin de vérifier que celui-ci a pleinement respecté ses obligations dans ce périmètre restreint.

Conclusion : une jurisprudence stabilisatrice bienvenue

Cette décision du 19 mars 2025 vient opportunément mettre fin aux débats entourant le reclassement des salariés inaptes au sein des CPAM. En choisissant de suivre strictement la lettre du texte, la Cour de cassation garantit une sécurité juridique renforcée et une meilleure prévisibilité pour l’ensemble des acteurs concernés.

À travers cet arrêt, la Haute Juridiction rappelle également l’importance pour les employeurs d’appliquer rigoureusement les règles du Code du travail dans leur périmètre propre, tandis que les salariés voient précisée la limite juridique des recherches de reclassement auxquelles ils peuvent prétendre. Cette décision marquera assurément une étape déterminante dans la jurisprudence relative au reclassement pour inaptitude, clarifiant enfin un point juridique longtemps resté en suspens.

 

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