Litige interne dans une SARL libérale : vers quel tribunal se tourner?
Pourquoi la forme sociale dicte le juge
Un désaccord éclate entre associés ; vous envisagez la révocation du gérant ou la contestation d’une assemblée. Première question : quel tribunal saisir ?
L’idée reçue consiste à raisonner en fonction de l’activité : vétérinaire, architecte ou expert-comptable ? « C’est du civil, donc le tribunal judiciaire », croit-on. En réalité, l’article L 210-1 du Code de commerce tranche : « La société à responsabilité limitée est commerciale par la forme, quel que soit son objet. » Ajoutez l’article L 721-3 2° – le tribunal de commerce connaît des contestations relatives aux sociétés commerciales – et vous obtenez une règle limpide : tout litige interne à une SARL se plaide, par principe, devant le juge consulaire, que l’activité soit marchande ou libérale.
Cette prépondérance de la forme sur l’objet offre au dirigeant un critère simple ; elle évite les querelles de qualification et garantit une géographie judiciaire stable.
Deux issues possibles hors du juge consulaire
Le monopole du tribunal de commerce souffre néanmoins deux exceptions étroites :
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Le tiers non commerçant extérieur au pacte social
S’il n’est ni associé, ni organe de la société, il peut choisir entre le tribunal judiciaire et le tribunal de commerce (Cass. com., 20 déc. 2023, n° 22-11.185). Un fournisseur particulier ou un client consommateur est libre de son option ; un associé ou un gérant ne l’est pas. -
La société d’exercice libéral (SEL)
L’article L 721-5 confie au tribunal judiciaire les litiges relatifs aux sociétés constituées sous la loi du 31 décembre 1990 (désormais ord. 2023-77). Autrement dit, la SELARL ou la SELAS échappe, par construction, au juge consulaire ; la SARL de droit commun n’en bénéficie pas.
En dehors de ces passerelles, la porte reste fermée : le contentieux doit suivre la voie commerciale.
L’arrêt du 28 mai 2025 : un cas d’école
La décision Com., 28 mai 2025, n° 24-14.148 en fournit une illustration parlante. Dans la SARL « Vet’amazones », une gérante vétérinaire, révoquée, saisit le tribunal judiciaire pour révocation abusive. La cour d’appel la suit, jugeant que l’activité vétérinaire est civile. Mais la Cour de cassation casse sans renvoi :
« Le litige, opposant un gérant à une SARL non constituée en SEL, relève de la compétence exclusive du tribunal de commerce, peu important la nature civile de l’activité et l’absence de qualité de commerçant du demandeur. »
Le message est clair : tant que votre société n’a pas adopté la forme SEL, toute contestation interne reste ancrée au quai consulaire.
Quels risques pour le dirigeant qui se trompe de porte ?
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Nullité pour incompétence matérielle
Le juge saisi à tort se déclare incompétent ; l’assignation doit être recommencée, avec les frais et les mois perdus que cela suppose. -
Prescription quinquennale
Les obligations commerciales se prescrivent par cinq ans (C. com., art. L 110-4). Si le renvoi intervient après l’expiration de ce délai, votre action est irrecevable. -
Club de décisions paralysées
Le débat sur la compétence suspend la révocation, retarde la tenue d’assemblée, fige la signature bancaire ; bref, la gouvernance s’enlise.
Checklist pour sécuriser vos actions
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Vérifier la forme : SARL ou SAS ordinaires → juge commercial ; SEL → juge judiciaire.
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Identifier la qualité du demandeur : associé, gérant, commissaire aux comptes ? Pas d’option ; tiers extérieur ? Option possible.
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Qualifier l’objet du litige : révocation, nullité d’assemblée, cession de parts ? Toujours le tribunal de commerce.
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Insérer une clause statutaire rappelant la compétence consulaire ; elle ne prime pas l’ordre public, mais décourage le forum shopping.
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Constituer un dossier solide en cas de révocation : motifs factuels, débats contradictoires, procès-verbaux détaillés.
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Transformer la société en SEL si vous souhaitez durablement rester sous l’aile du tribunal judiciaire ; la procédure exige unanimité (sauf clause contraire), commissaire à la transformation et agrément ordinal.
Faire de la compétence un réflexe de gouvernance
Le droit des sociétés n’est pas qu’une affaire de statuts ; c’est aussi une question de géographie judiciaire. Dans une SARL libérale, la compétence revient quasi systématiquement au tribunal de commerce. L’arrêt « Vet’amazones » rappelle aux dirigeants qu’un mauvais choix de juridiction coûte cher : délais, frais, incertitude managériale. Anticipez ; vérifiez la forme, intégrez la clause, formez vos équipes. À défaut, transformez-vous en SEL et assumez la discipline du juge civil ; mais ne naviguez pas entre deux eaux, au risque de sombrer pour incompétence matérielle.
LE BOUARD AVOCATS
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