Faute grave & clause bad leaver : sécuriser un pacte d’associés

Faute grave & clause bad leaver : sécuriser un pacte d’associés

Bad leaver, pacte d’associés et gouvernance : les enseignements opérationnels de l’arrêt Versailles du 10 décembre 2024

Pourquoi cet arrêt doit alerter tout chef d’entreprise

À première vue, 10 400 € d’indemnité de congés payés peuvent paraître anecdotiques pour une société en croissance. Pourtant, l’autoverser sans respecter le pacte d’associés a suffi à un directeur général pour tout perdre : son indemnité de fin de mandat (100 000 €) et, surtout, 600 000 € de plus-value latente sur 5 % du capital. Le prix contractuel de cession — le coût d’acquisition — s’est appliqué mécaniquement, la clause bad leaver ne laissant aucune marge de négociation. L’affaire rappelle que la maîtrise du risque juridique commence bien avant le contentieux : elle se joue à la table de rédaction du pacte, puis dans sa discipline quotidienne.

Trois clefs de lecture pour comprendre la décision

1. La faute grave « contractualisée » supplante le débat social

Le pacte renvoyait explicitement à la définition sociale de la faute grave, mais en la liant à un manquement précis : l’absence d’aval du comité stratégique pour toute rémunération « significative ». En droit, la faute grave n’a rien d’une notion abstraite : elle se matérialise dès qu’une clause essentielle est violée de sang-froid. Le dirigeant arguait de l’approbation ultérieure des comptes ; la cour balaie l’argument : l’accord devait précéder le paiement, non le suivre. Morale : un pacte bien calibré transforme un simple oubli procédural en arme de décapitalisation massive.

2. Le prix bad leaver échappe à l’article 1843-4

Le gérant pensait imposer au juge civil une valorisation fondée sur la levée de fonds de 2018 (50 € l’action). Refus net. En présence d’un prix déterminable par avance — ici la moyenne pondérée des coûts d’acquisition — l’expert 1843-4 n’est pas compétent. La seule soupape contractuelle consistait à solliciter, dans les trente jours, une expertise contradictoire ; délai dépassé, levier perdu. Pour un chef d’entreprise, la leçon est simple : si votre pacte offre une fenêtre d’expertise, activez-la immédiatement ; passée l’échéance, la décote est figée.

3. La révocation ad nutum n’autorise pas toutes les formes

Le droit des sociétés permet la révocation sans motif, pas la révocation « à n’importe quelles conditions ». La diffusion d’un courriel insinuant un manque de probité au moment de la restitution du véhicule a coûté 10 000 € de dommages-intérêts à la SAS. Somme modique au regard du résultat financier, mais rappel utile : le procès verbal doit rester neutre, la communication interne factuelle, le matériel récupéré dans un cadre courtois.

Checklist pour sécuriser votre pacte d’associés

  • Définir la faute grave

    • Listez les manquements (prime non approuvée, détournement d’actifs, concurrence, divulgation).

    • Indiquez le renvoi explicite à la jurisprudence sociale pour limiter les débats de qualification.

  • Encadrer la clause bad leaver

    • Mettez un prix plancher indexé (pourcentage de la dernière valorisation ou multiple d’EBITDA).

    • Organisez une expertise obligatoire et contradictoire déclenchée d’office en cas de contestation.

    • Prévoyez un délai réaliste (60 jours) pour solliciter l’expert ; au-delà, acte de renonciation.

  • Baliser la gouvernance quotidienne

    • Formalisez le circuit de validation des rémunérations : convocation, quorum, procès-verbal.

    • Conservez la trace électronique (mails, outils de signature) ; en cas de litige, la charge de la preuve pèse sur le dirigeant.

  • Soigner la sortie

    • Insérez une charte « off-boarding » : calendrier, accès aux locaux, restitution du matériel, clause de non-dénigrement.

    • Si la société veut communiquer, privilégiez un communiqué unique, validé par le conseil.

Conclusions pour le dirigeant-actionnaire

Le capital que vous détenez pèse souvent plus lourd que votre salaire annuel. Un bonus mal validé, une montre d’entreprise, un véhicule un peu luxueux deviennent, si le pacte le prévoit, la brèche par laquelle vous pouvez perdre la quasi-totalité de votre investissement. L’arrêt Versailles souligne que les clauses bad leaver ne sont plus une simple précaution théorique : elles sont appliquées à la lettre par les juges lorsqu’elles sont rédigées avec rigueur.

En pratique : exigez, dès la négociation, un dispositif de valorisation équitable ; respectez scrupuleusement chaque étape de gouvernance ; activez sans délai l’expertise prévue en cas de litige. Faute de quoi, le jour où la relation se tend, votre participation risque de s’évaporer à la vitesse d’un clic sur un bulletin de paie.

Pour en savoir plus, consultez cet article dédié.