Famille de l’employeur : nouvel enjeu de discrimination salariale 2025
Lien familial de l’employeur et égalité salariale : analyse de l’arrêt du 9 avril 2025
Contexte normatif : de l’interdiction nationale au standard européen
Depuis la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, l’article L 1132-1 du Code du travail prohibe toute mesure discriminatoire, notamment en matière de « rémunération », fondée sur la situation de famille. La doctrine et la jurisprudence postulaient jusqu’alors que ce critère visait exclusivement l’état familial du salarié discriminé : mariage, PACS, parentalité.
Or, l’influence croissante du droit de l’Union – directive 2000/78/CE et jurisprudence CJUE, 17 juil. 2008, Coleman, C-303/06 sur la discrimination par association – a préparé le terrain à une lecture plus large : la circonstance familiale d’un tiers peut former le socle d’un traitement défavorable.
Faits et procédure : deux collaboratrices, un député, un écart de 62 % de salaire
Un parlementaire engage deux collaboratrices parlementaires.
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Première salariée : avocate, master 2, statut cadre, missions parlementaires complètes.
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Seconde salariée : épouse de l’employeur, sans diplôme juridique, tâches essentiellement logistiques.
Bien que moins qualifiée, l’épouse perçoit un salaire supérieur de 62 % et diverses primes exclusives. À la cessation de mandat, la première saisit le conseil de prud’hommes pour discrimination salariale. Déboutée en première instance, elle obtient gain de cause devant la cour d’appel de Lyon (8 mars 2023), décision confirmée par la Cour de cassation (Soc., 9 avr. 2025, n° 23-14.016).
Qualification juridique de la discrimination
Un critère « situation de famille » élargi à l’employeur
La chambre sociale juge pour la première fois que le défaut d’appartenance à la famille de l’employeur constitue un motif prohibé : la comparaison se fait non sur la base d’une caractéristique propre au demandeur, mais sur celle dont bénéficie le collègue privilégié. Le raisonnement transpose in concreto la logique Coleman, selon laquelle l’égalité de traitement s’apprécie par rapport au motif, non par rapport à une catégorie fixe de personnes.
Charge de la preuve aménagée : art. L 1134-1
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Salarié : apporte des indices laissant présumer une discrimination (bulletins de paie, descriptifs de poste, diplômes).
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Employeur : doit démontrer que la différence de rémunération poursuit un objectif légitime, repose sur des critères objectifs, proportionnés et étrangers à toute considération familiale.
Dans l’affaire commentée, l’argument de la « confidentialité » inhérente à l’épouse est jugé non pertinent : il n’était ni objectivé ni indispensable à la fonction.
Implications pratiques pour les employeurs et leurs conseils
PME et groupes familiaux
Les structures où la direction, les actionnaires ou les cadres dirigeants emploient des proches sont directement concernées : conjoints collaborateurs, enfants, belle-famille. Les décisions salariales doivent être strictement corrélées à des éléments mesurables :
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classification, diplômes, certifications ;
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niveau de responsabilité budgétaire ou managériale ;
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performance quantifiée et périodiquement évaluée.
Gouvernance salariale et « complaince » interne
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Grille écrite : formaliser les niveaux de rémunération, primes et avantages selon des critères prédéterminés.
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Documentation : conserver PV, comptes rendus annuels, matrices de compétences.
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Audit régulier : comparer la rémunération des apparentés et des non-apparentés occupant des postes analogues.
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Sensibilisation RH : former managers et DRH aux discriminations indirectes et par association.
Retombées contentieuses et financières
RisqueBase légaleAmpleur potentielleRappel de salaires (5 ans)C. trav., art. L 3245-1Arriérés + intérêts de retardDommages-intérêts pour préjudice moralJurisprudenceÉvaluation in concretoMajorations indemnité de licenciementC. trav., art. L 1235-3-1Jusqu’à 6 mois de salaire (≥ 11 salariés)Sanction pénaleC. pén., art. 225-245 000 € et 3 ans d’emprisonnementPublication de la décisionPouvoir discrétionnaire du jugeImpact réputationnel
Perspectives contentieuses
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Élargissement aux autres avantages : véhicules, stock-options, retraites supplémentaires pourraient être contestés s’ils profitent davantage aux apparentés.
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Contrôles administration du travail : dans les plans de sauvegarde et ruptures collectives, l’Inspection du travail pourrait exiger la traçabilité des critères salariaux.
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Montée des actions collectives : syndicats et CSE disposeront d’un argument supplémentaire pour contester les disparités au sein des sociétés familiales.
Conclusion : un impératif d’objectivité renforcé
En érigeant la parenté avec l’employeur en facteur discriminatoire, la Cour de cassation consolide la politique jurisprudentielle d’égalité réelle. Les avocats conseil devront désormais intégrer cette grille de lecture dans leurs audits sociaux ; quant aux entreprises familiales, elles ne pourront plus se prévaloir du lien de confiance inhérent aux proches pour justifier des écarts de salaire. La compétence, mesurée et prouvée, demeure la seule boussole légitime.
Pour aller plus loin : https://www.avocats-lebouard.fr/news/discrimination-salariale-famille-employeur
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