Dirigeants : faillite personnelle sans déficit prouvé : enjeux
Faillite personnelle : quand le risque dépasse la simple santé financière de l’entreprise
Le 12 juin 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation (n° 24-13 566) a rappelé un principe qui, jusqu’alors, restait cantonné aux cercles spécialisés : la faillite personnelle ou l’interdiction de gérer peuvent être infligées au dirigeant sans qu’aucun déficit ne soit démontré. Autrement dit, la sanction vise le comportement, non le solde comptable. Vue sous l’angle du risk management, cette décision bouleverse l’échelle traditionnelle des priorités dans la salle du conseil d’administration.
Gouvernance : le basculement d’un risque purement financier vers un risque de réputation immédiat
Durant des années, la direction financière concentrait l’essentiel de son énergie sur le maintien d’un actif net positif. La logique était simple : pas de déficit, pas de faillite personnelle. L’arrêt de la Cour de cassation inverse l’équation. Désormais, un manquement listé aux articles L 653-4 ou L 653-5 du Code de commerce suffit : confusion de patrimoines, comptabilité fictive, poursuite abusive d’une activité irrémédiablement déficitaire, etc.
L’effet domino est évident :
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Risque réputationnel instantané : la mention de la sanction au registre du commerce prive le dirigeant d’une crédibilité professionnelle, même si la société, elle, reste solvable.
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Accélération des procédures : le liquidateur ou le ministère public n’a plus à attendre la clôture des comptes pour agir.
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Tension sur les assureurs D&O : les clauses d’exclusion liées aux fautes intentionnelles pourraient se déclencher plus fréquemment, renchérissant les primes.
Au-delà du bilan : la place centrale de la preuve comportementale
Les juges ne s’intéressent plus à la question : « la société est-elle déficitaire ? » mais à celle-ci : « un fait fautif est-il établi ? ». La nuance est capitale :
Ancienne approche pratiqueNouvelle approche depuis l’arrêt1. Examiner le compte de résultat.
2. Si déficit : rechercher une faute.
3. Poursuivre le dirigeant.1. Identifier un acte visé par L 653-4 ou L 653-5.
2. Poursuivre immédiatement le dirigeant.
3. L’état des comptes devient secondaire.
Cette bascule renforce l’idée selon laquelle la conformité documentaire (procès-verbaux, double signature, traçabilité des flux) devient la première ligne de défense, au même titre que la rentabilité.
Lectures croisées : comment articuler sanction personnelle et comblement de passif ?
On l’oublie souvent : le Code de commerce distingue clairement la sanction morale (faillite personnelle, interdiction de gérer) des mesures patrimoniales (action en comblement de passif, art. L 651-2).
La nouvelle jurisprudence n’efface pas cette dualité ; elle la confirme :
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Pour condamner à combler un déficit, deux éléments restent nécessaires : une faute de gestion et une insuffisance d’actif chiffrée.
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Pour écarter un dirigeant, une seule condition subsiste : la faute formelle énumérée par la loi.
Conséquence : un même gérant peut être frappé d’une faillite personnelle alors même que les comptes affichent un excédent, tout en échappant à toute condamnation pécuniaire.
Nouveaux réflexes à adopter du côté des organes de contrôle
Direction financière et conformité : vers un audit comportemental permanent
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Mise à jour de la cartographie des risques : classer les actes de gestion selon le spectre des articles L 653-4/L 653-5.
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Journalisation des décisions sensibles : toute sortie de cash atypique (prêt intragroupe, dividendes exceptionnels) doit laisser une trace datée, approuvée, archivée.
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Procédure d’alerte interne : instaurer un canal permettant au DAF ou au contrôleur interne de signaler directement au conseil toute dérive à l’instant T.
Rôle accru du président du conseil d’administration
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Contrôle de la tenue des registres : vérifier chaque trimestre la présence et la régularité des livres comptables et des registres d’assemblée.
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Veille réglementaire : suivre l’évolution jurisprudentielle pour adapter sans délai le règlement intérieur.
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Formation des administrateurs : promouvoir une culture du risque juridique, non plus seulement financier.
Les nouveaux paramètres d’une défense efficace
Face à une demande de faillite personnelle, le défendeur n’a plus intérêt à invoquer l’absence d’insuffisance d’actif ; l’argument est devenu hors sujet. Trois axes demeurent pertinents :
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Contestations matérielles : prouver que l’acte reproché n’a jamais existé ou qu’il résulte d’un ordre du jour irréprochable.
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Délégation de pouvoirs : démontrer la réalité, la régularité et le suivi d’une délégation écrite.
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Absence d’intention frauduleuse : en pratique, montrer qu’une décision de poursuivre l’activité reposait sur des prévisions sérieuses et documentées.
Focus : startups, associations et dirigeants de fait
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Start-ups : la course aux levées de fonds pousse parfois les fondateurs à différer la déclaration de cessation des paiements. Le nouveau paradigme exige de fixer des seuils d’arrêt automatique (burn rate atteint, refus bancaire, etc.).
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Associations : dès qu’elles exercent une activité économique – et la jurisprudence est large – leurs dirigeants tombent également sous le coup de L 653-4/L 653-5.
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Dirigeants de fait : la sanction n’épargne pas celui qui, sans mandat formel, dirige en coulisses. La vigilance contractuelle s’impose aux investisseurs minoritaires qui pilotent le business à distance.
Checklist de survie : six actions en 60 jours
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Vérifier la séparation des comptes : aucun paiement personnel ne doit transiter sur le compte société.
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Mettre à jour le livre d’inventaire : y faire figurer chaque immobilisation et mouvement significatif.
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Archiver la comptabilité en mode WORM afin d’empêcher toute altération a posteriori.
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Auditer les conventions réglementées : s’assurer que chaque contrat intra-groupe a été approuvé par l’assemblée.
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Valider un plan de cessation de paiements conditionnel : un scenario-test prêt à activer en cas de tension de trésorerie.
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Souscrire ou réévaluer la police Responsabilité des mandataires sociaux pour intégrer la nouvelle exposition.
Conclusion : vers une culture de la « conformité-réflexe »
La suppression de l’exigence d’insuffisance d’actif transforme la faillite personnelle en épée de Damoclès permanente. L’équilibre du dirigeant se jouera moins sur ses résultats financiers que sur la traçabilité et la loyauté de chacun de ses gestes. Désormais, la meilleure garantie de pérennité n’est plus la rentabilité brute, mais la capacité à démontrer, pièce à l’appui, qu’aucun acte ne sort du périmètre balisé par les articles L 653-4 et L 653-5.
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